Dans mon précédent article « La Nature a-t-elle un sens ? » je posais la question de savoir s’il est important aujourd’hui, de connaître le sens du terme nature.
J’interrogeais ensuite le sens, non seulement du terme, mais aussi de l’idée de Nature chez les cultures navajo, maori et chinoise.
Mais combien de mots, combien de conceptions différentes, existent aujourd’hui pour définir la Nature ?
Est-ce que l’on a besoin d’autant de diversité? On peut se demander si elle n’est pas un frein à une compréhension commune. Mais en soit, as-t-on besoin de se comprendre?
On s’y trouve et on s’y perd pour mieux s’y retrouver?
Le recensement de la population mondiale réalisé par les Nations Unies au 1er janvier 2020, comptait 7,79 milliards d’humains.
Je ne suis pas sûr qu’il y ait autant de mots pour parler de la Nature!
Aussi nombreux que l’on soit, on exprime nos différences à travers près de 6 500 langues et dialectes mais aussi par une multitude de cultures différentes.
Ce qui nous fait potentiellement au moins 6 500 mots différents pour nommer la Nature. Mais au-delà des frontières de la langue, est-ce que deux mots ne pourraient pas faire référence à une même conception de la Nature ?
Les divergences de conception de la Nature sont peut-être davantage liées aux différences de cultures.
Mais y a-t-il autant de conception de la Nature qu’il y a de cultures différentes ?
Dans mon article « La Nature a-t-elle un sens », je vous parlais de l’idée de Nature dans l’ancienne tradition chinoise. Cette ancienne conception de la Nature dite Xìng est encore enseignée et étudiée aujourd’hui mais semble mise sur la touche par une approche plus matérialiste qui profite au développement industriel et économique.
Le cas de la Chine n’est peut-être pas isolé et d’autres cultures voient sûrement certaines conceptions se perdre en cours de route ou être confrontées à de nouvelles venues.
Mais d’où viennent ces conceptions qui montent sur le ring face à celles déjà installées ?
Le gaulois et le français d’aujourd’hui se comprennent-ils ?
Je me suis penché davantage sur l’origine des acceptions du mot nature dans la langue française.
Les différentes significations données dans les dictionnaires de la langue française sont héritées d’une histoire qui remontent pour les plus anciennes, jusqu’aux écritures gréco-romaines de l’âge de fer. Sur cette période où les gaulois ont cohabité avec les romains jusqu’à la conquête de la Gaule par Jules César.
Le terme nature vient du latin natura qui vient lui-même du verbe nascor qui signifie « naître » ou « provenir ».
Mais on peut se demander pourquoi le terme même de nature nous vient du latin ? Et les Gaulois dans tout ça ?
L’héritage de la langue gauloise dans le français d’aujourd’hui est très discuté et les écrits laissés dans la langue sont peu nombreux. Le gaulois était d’abord une langue parlée et une bonne part des écrits transmis de l’époque l’ont été en majorité par des auteurs gréco-latins.
Aujourd’hui il n’est toujours pas possible de voyager dans le temps donc je me résigne et j’abandonne l’idée d’une confrontation de point de vue entre le Gaulois et le Français.
A parcourir les dictionnaires d’aujourd’hui, difficile de ne pas reconnaître que c’est le terme latin qui a été adopté par les descendants des populations successives qui se sont rencontrées et ont contribuées à la construction de la culture française (Gaulois, Romains, Francs notamment).
Le mot est donc d’origine latine mais qu’en est-il du concept ?
La première conception philosophique du terme natura apparaît à la période classique (entre 500 av. J.-C et 323 av J.-C), lorsque les Romains l’associent au concept grec Phusis.
Le Phusis naît lui, aux prémices de la philosophie grecque (du milieu du 6ème siècle av. J.-C jusqu’au 4ème siècle av. J.-C). Là encore les interprétations seront variables d’une école de philosophes à l’autre. A l’origine le Phusis renverrait à ce qui est, mais aussi aux évènements qui se produisent, le tout formant un ensemble interdépendant en perpétuel mouvement. Ça vous rappelle vaguement quelque chose ? Peut-être un concept de la Chine ancienne?
Mais la donne change pendant le 1er siècle avec la christianisation progressive de l’Europe. Une autre conception de la nature apparaît dans laquelle celle-ci est considérée comme une création d’un Dieu unique.
Natura naturans et Natura naturata.
Dans cette nouvelle conception, l’Homme est aussi une création de Dieu mais il se place au-dessus de la nature.
C’est à partir de ce moment que l’idée d’une distanciation de l’homme et de la Nature va s’opérer.
Il faudra attendre la Renaissance, à partir du 14ème siècle, pour voir réapparaître l’acception de la Nature comme un tout qui forme le monde et le définit.
Au final, avec ces retournements de situation, nous voilà aujourd’hui avec un mot Nature et des acceptions parfois contradictoires.
Et cette question est toujours là : la Nature, comment s’y retrouver ?
Entre l’Oromo, le Sami et le Quechua, comment discuter ?
Qu’en-est-il de l’Oromo, du Sami et du Quechua qui n’ont pas encore eu droit au chapitre ?
Pour l’Oromo, ce n’est pas évident de se faire entendre. Mes recherches sur les conceptions de la nature chez les peuples d’Afrique n’ont pas été de tout repos. Les écrits d’anthropologues et de philosophes traitant de la thématique de la conception de la nature chez les peuples d’Afrique sont aujourd’hui encore peu alimentés en comparaison avec des peuples d’autres régions du monde (Asie, Amérique du Nord, Australie, …). Les oromos constituent la première ethnie d’Ethiopie (35% de la population totale) où ils se seraient installés vers le 16ème siècle.
Quant au Sami, c’était moins une avant que sa voix et ses chants ne disparaissent sous les assauts du colonialisme et de la conversion forcée au christianisme. A partir du 17ème siècle sa culture a bien failli s’éteindre. Ils sont aujourd’hui répartis entre quatre pays (la Norvège, la Finlande, la Suède et la Russie) sur leur territoire ancestral qu’ils appellent « Sàpmi ».
Le Quechua, a lui aussi été contraint par la christianisation après l’arrivée des colons espagnols au 16ème siècle. Mais plutôt que de tenter une éradication de la langue Quechua (runa-simi), les envahisseurs s’en seraient servis pour diffuser leur message d’évangélisation. Les Quechuas sont les représentants actuels du peuple Incas et forment plusieurs communautés implantées dans différents pays d’Amérique latine (Pérou, Colombie, Bolivie, Equateur, Chili, Argentine).
Pour l’Oromo, le ciel est l’origine
Certaines communautés Oromos ont une conception particulière de la Nature. La Nature au sens d’un tout est, chez eux, tout ce qui a été créé par Waaqa (ciel en oromo), la puissance supérieure à l’origine de toutes choses. Les oromos font partie des créations de Waaqa et ont obtenu de lui le droit d’exploiter les ressources de cette nature. Mais cette exploitation doit toujours se faire dans le respect des lois imposées par Waaqa.
L’ensemble des règles qui guide spécifiquement les hommes est appelé saffuu. Le saffuu est pour eux un concept moral qui régit les relations entre les êtres vivants et non-vivants. Sa vocation est de garantir le respect de toute chose ou de tout être-vivant à travers le respect de son Ayyaana (esprit). Chaque chose et chaque être-vivant est conditionné par l’Ayyaana qui lui est attribué par Waaqa. Saffuu est le papier à musique qui sert à s’assurer que tout reste à sa place, selon son Ayyaana et en harmonie.
En d’autres mots, chaque Ayyaana est connecté à Waaqa et Saffuu sert d’intermédiaire avec les choses qui doivent être régulées (uuma) pour conserver l’équilibre cosmique et social.
Le Sami pleure et rie comme la Nature
Les Samis ont une vision animiste du monde qui les entoure. L’ensemble des créatures animées, toutes les choses ainsi que les lieux ont un esprit.
Pour les Samis, la pierre, l’arbre et le vent sont des individus et ont une volonté propre.
Chez les Samis, la Nature est luondu mais dans leur perception, le mot ne fait apparemment pas référence aux choses physiques, aux enveloppes matérielles, mais plutôt à tout ce qui se passe à l’intérieur, aux esprits. Dans ce monde, les choses, les phénomènes naturels et les créatures interagissent entre eux et avec l’homme qui est observateur et qu’ils observent en retour.
Dans cet environnement, les déguisements ne tiennent pas longtemps, surtout en présence du chaman, le noaidi, qui vient en renfort lorsque l’intuition du Sami ne lui permet plus de savoir comment réagir face aux autres créatures. Le noaidi parle aux esprits des lieux, des choses et des animaux pour comprendre leurs attentes. La mission première du noaidi est de rétablir l’équilibre entre l’homme et les autres créatures au sein du luondu.
Le corps du Quechua ressemble au corps de la Nature
Chez les peuples héritiers de la culture Inca et principalement chez les Quechuas, le concept de « mère nature » ou « terre mère » est personnifié par la Pachamama qui est une divinité protectrice. Le terme Pacha désigne pour les Quechuas et les Incas avant eux, tout ce qui constitue l’espace-temps. Les notions d’espace et de temps s’interpénètrent pour former le Pacha qui peut signifier à la fois le monde, l’univers ou l’époque.
La Pachamama est une divinité qui ne peut être identifiée selon les notions de bien ou de mal mais avec laquelle il est important de préserver un équilibre.
Cet équilibre, les Quechuas tentent de le préserver, voire de le restaurer grâce à des offrandes.
Les Quechuas considèrent que la Pachamama est un être vivant et qu’elle est à l’origine de toute chose et toute créature. Ils identifient les éléments de l’environnement en référence aux parties du corps humain. Ils considèrent que la Pachamama a elle aussi un corps comme eux. Au moment des offrandes, les Quechuas creusent un trou dans le sol en guise de bouche, dans laquelle ils placent le plus souvent de la nourriture, des boissons et des feuilles de coca. Ils nourrissent la Pachamama qui a subvenu à leurs besoins pendant toute l’année.
Qui s’y retrouve, qui a raison ?
Imaginez le Navajo, le Maori, le Chinois (de mon précédent article) et l’Oromo, le Sami, le Quechua et le Français qui se retrouvent dans une même pièce pour parler de la Nature.
Pour fluidifier un peu la discussion, imaginez qu’ils parlent tous la même langue. Est-ce que ça suffit à chacun pour comprendre l’idée que l’autre se fait de la Nature ?
Je me demande si c’est bien grave en soit! Au fond rien ne les oblige à se comprendre les uns les autres. On peut se dire que c’est sans importance du moment que le rapport des uns à la Nature ne représente pas une menace pour les autres.
Où en est-on aujourd’hui, est-ce le cas ?
On peut se demander si la conception de l’un d’eux et dont découle son rapport à la Nature est une menace. Mais dans ce cas lequel d’entre eux ?
Et dans le même temps, l’idée qu’une conception de la Nature puisse être une menace pour les autres ne veut pas non plus dire que les autres sont idéales.
Alors qui a raison ?
Tous ceux autour de la table ?
Peut-être que le souci n’est pas de savoir qui a raison mais plutôt de se demander ce que peut apporter la vision de chacun pour enrichir celle de l’autre !
La question est peut-être plutôt de savoir comment faire de cette diversité de conceptions un ensemble cohérent qui permette à chacun d’évoluer en accord avec la Nature.
Il est peut-être davantage nécessaire aujourd’hui de se mettre autour d’une table, autour d’un feu, autour d’un thé ou d’une bière, pour parler de nature.
Peut-être qu’une des premières choses à faire serait de remettre la nature au centre de nos discussions, au centre de la table. C’est aussi une façon de ramener ou de conserver la nature dans nos foyers pour retrouver ou garder notre proximité avec elle.
Pour la petite histoire, en Nouvelle Zélande, le parlement néozélandais actait un tournant pour le pays (et pour le monde?). Pour la première fois dans l’histoire, la qualité d’ »être vivant unique » au troisième plus long fleuve du pays, le Whanganui (ou Te Awa Tupua). Le 15 mars 2017, le fleuve se voit reconnaître le statut de personnalité juridique et deux avocats sont mis à disposition pour le représenter devant la juridiction du pays.
Et les absents ?
On dit que les absents ont toujours tort !
Certaines cultures et sociétés humaines sont encore peu connues voire inconnues aujourd’hui. L’une d’elles au moins vit totalement coupée du monde et pourrait difficilement être invitée à la table des discussions.
Sur une petite île du nom de North Sentinelle, vit une communauté d’hommes dont on ne sait rien et les dernières tentatives de contact ont été avortées ou se sont terminées tragiquement. Quelle est la perception de la Nature sur cette île perdue dans l’océan indien ?
On peut se demander si leur avis à une importance!
Et la Nature dans tout ça ?
On peut discuter de nature entre nous mais est-ce que ça mènera quelque part si on ne l’invite pas aussi à la table des discussions ?
En plus d’en discuter il serait peut-être aussi capital d’écouter, d’observer et d’être attentif !
Et si la Nature cherchait à communiquer avec nous par ses propres moyens ou du moins avec son propre langage? Encore faudrait-il que l’on soit capable de la comprendre… !
Et vous, êtes-vous prêts à discuter ?
En écrivant cet article, je vois un vol d’oiseaux en formation passer devant ma fenêtre. Si je prends deux minutes pour vraiment l’observer, je ne peux pas louper le fait que je ressens quelque chose.
A ma place qu’est-ce que vous, vous ressentiriez ? Est-ce que vous pouvez mettre des mots sur votre ressenti ?
Par exemple :
-
- Je ne vole pas mais de voir ces oiseaux me permet de m’envoler par la pensée,
- Je fais partie du mouvement de la vie, comme ces oiseaux qui volent guidés par instinct,
- Je suis connecté à la nature, elle est connectée à moi,
Je vous invite à faire l’exercice de noter deux ou trois phrases en pensant à un endroit de nature que vous aimez. Ça peut aussi être un évènement naturel comme l’écoulement d’un ruisseau, le son des oiseaux, la pluie ou même le tonnerre. Du moment que les sensations en vous sont agréables. En mémorisant ces phrases et en les disant à voix haute, les unes après les autres et les yeux fermés, qu’est-ce que vous ressentez ?
Au-delà du sens du terme pour vous et de la conception que vous avez de la Nature, comment vous en parlez et comment vous la ressentez ?
Dans nos sociétés, une certaine forme d’individualisme a pris les proportions qu’elle a aujourd’hui. Est-ce que le fait de revoir notre façon de penser la Nature n’est pas une façon de nous reconnecter à nous-même mais aussi à l’autre ?
Je vous remercie d’avoir été avec moi et d’avoir pris le temps de la réflexion.
Maintenant vous pouvez laisser vos commentaires et surtout partager la ou les phrases qui vous viennent lorsque vous pensez et ressentez la nature!